Thursday, December 11, 2008

Entretien avec Abdessamad Tamouro Enseignant de Philosophie et de l’Histoire de la pensée et des civilisations

Entretien avec Abdessamad Tamouro Enseignant de philosophie et de l’Histoire de la pensée et des civilisations.
« Une vision globale pour le dossier des mauresques »


Abdessamad Tamouro, enseignant de philosophie et d’histoire de la pensée des civilisations à la Faculté des lettres de Rabat, membre de l’association marocaine de philosophie (AMP) et est également l’un des descendants des familles mauresques déportées de Séville il y a des siècles. C’est l’un des plus actifs membres du « Front de Défense de l’Unité territoriale nationale ». A. Tamouro présente son réquisitoire contre l’Espagne.


Comment comptez-vous défendre le lourd dossier que vous préparez contre l’Espagne ?

Il faut qu’un tel dossier soit traité sous une vision globale. Pour traiter des faits aussi graves et importants : les frontières, les relations entre peuples et entre civilisations, il faut s’éloigner de toute vision personnelle ou de revanche, de vengeance ou de vision politique. Car, la politique ne gère que le conjoncturel, les compromis... Elle ne peut pas gérer l’Histoire et les civilisations. A défaut de négociations, à défaut de compréhension et à défaut d’entente, on ne peut échapper à la tension de conflit. C’est pourquoi il faut associer dans cette réflexion « les sages ».

Et qui sont donc ces sages ?

Les sages sont des intellectuels et des chercheurs, mais pas n’importe lesquels. Il faut des chercheurs autorisés, compétents et qui travaillent dans des institutions indépendantes. A l’instar des institutions stratégiques, les institutions de travail, les institutions de recherche ou de coopération.

Pourquoi avez-vous attendu tout ce temps avant de ressortir ces griefs contre l’Espagne ?

On n’a attendu seulement quatre ou cinq siècles. Ce n’est pas beaucoup dans le processus de l’Histoire. C’est pour cela que nous demandons que le dossier soit traité dans le cadre d’une vision globale. Les affaires entre peuples ne peuvent pas obéir aux calculs temporels.

Qu’est ce qui a fait que ce dossier des mauresques marocains ressurgisse tout d’un coup ?

Le déclic est venu du fait que l’Europe demande l’ouverture. Tout le monde demande le dialogue des civilisations, des religions... L’humanité a été éprouvée par les conflits et par les guerres mondiales. On sait ce que cela a donné.

Nous vivons actuellement au Maroc le problème du Sahara. Ce n’est pas un problème de frontières, mais d’hommes qui ne veulent pas de frontières ou qui veulent des frontières à leur mesure.

Ainsi donc, ou bien on doit aller dans une vision globale qui cherche l’entente et qui cherche la compréhension et cela doit être fait en connaissance de cause, en connaissance de l’autre, loin des rapports de forces... Ou bien on va directement aux conflits.

Le malheur, c’est qu’on ne peut pas enlever l’Espagne de l’Histoire ou de la carte géographique. L’Espagne, non plus, ne peut pas le faire en ce qui concerne le Maroc.

Donc, on est obligé d’envisager cette possibilité de revoir tous les dossiers en rapport avec les relations de voisinage dans le cadre d’une vision de civilisation.

Par ailleurs, l’Europe parle de problèmes des frontières, de l’immigration, de l’interpénétration entre les pouvoirs, le pouvoir de l’Europe comme institution globale et le pouvoir des Etats... Nous aussi nous avons les mêmes préoccupations, mais autrement, avec l’Union du Maghreb... Donc, si on n’a pas cette vision avec nos voisins, on ne pourra pas avoir des relations d’entente avec l’Espagne et l’Europe, ni avec l’Algérie, la Tunisie...

La vision globale sur laquelle nous insistons va au-delà de la question du Sahara... C’est une question civilisationnelle qui est dans l’intérêt de toute la région.

Il faut souligner aussi qu’il y a dernièrement des conflits énormes, sanguinaires qui ont fait des milliers de morts et qui, maintenant, ne sont pas oubliés, mais ont donné lieu à une grande entente en Europe. Bien évidemment nous savons qu’en Europe tout le chauvinisme et l’esprit sanguinaire qui a présidé à l’expulsion des musulmans de l’Espagne est, aujourd’hui en grande partie, révolu. L’esprit de l’inquisition n’est plus. Il n’y a plus non plus d’esprit prônant les tueries que les musulmans ont connues en Espagne.

En fait, à l’heure où nous parlons beaucoup de l’ère de liberté, nous avons besoin d’avoir la liberté de voir en face l’avenir.

Dans votre action, est-ce que vous avez reçu du soutien de la part de ressortissants espagnols ?

Nous cherchons à mener des recherches communément avec les Espagnols pour les grands et les petits dossiers. Parmi les grands dossiers je propose, personnellement, la création d’un institut stratégique de recherche entre les deux pays sur les archives par exemple. Non seulement entre les deux pays, car il faut aussi associer le Portugal.

Nous ne parlons pas seulement avec l’Espagne, mais avec toute l’Europe et particulièrement avec l’Espagne et le Portugal.

Cette institution doit avoir le courage d’étudier sereinement des dossiers comme celui, par exemple, des frontières, de l’immigration, du droit de retour, de la nationalité, des efforts de compensation et de conciliation...

En ce qui me concerne, je peux formuler une demande personnelle au nom de ma famille pour demander les biens que nous avons perdus en Espagne et surtout à Séville.

Après tant d’années, serait-il facile d’évaluer les biens perdus à l’époque de l’Andalousie arabe ?

On n’en est pas encore là. Ce qu’il faut pour le moment, c’est d’ouvrir les archives, laisser les équipes de recherche travailler. Et ce, loin de tout esprit de revanche.

On doit avoir le courage de dialoguer et d’échanger les archives, d’écrire l’Histoire des familles musulmanes mais aussi des prisonniers espagnols au Maroc. Il faut aussi voir la colonisation et les problèmes qu’elle a engendrés : l’exode, la guerre du Rif...

A combien estimez-vous le nombre de mauresques qui ont été chassés vers le Maroc ?

On peut facilement parler d’un million et demi. Vous savez, d’après les répertoires, il y a eu des centaines de milliers à l’époque qui ont été obligés de quitter le territoire espagnol. C’était toute une civilisation et ça a duré plus de trois siècles. Pour moi et pour ma famille, je demanderais au moins une forme d’excuse et de compensation. C’est exactement ce qui a été demandé en faveur des juifs qui ont été déportés en Europe. C’est la même chose pour nous, car c’est un peuple qui a été expulsé, qui a subi l’inquisition, l’humiliation et qui a été interdit de parler, d’avoir une religion et une croyance, interdit de s’habiller comme il veut... Et ne parlons pas de ce que les Marocains on subi durant la colonisation espagnole !

lereporter.ma

Le chien en scaphandre qui traversait entre minuit et minuit-cinq

Tout commença un beau 21e jour du mois de Juin de l'an de grace 1985 (avec une marge d'erreur de +/- 730 jours), allait naitre une personne qui allait boulverser l'histoire de ce monde. Nous appellerons cette personne Vader.

Vader eut une enfance normale, jusqu'á sa majorité sa vie ressemblait á celle de n'importe quel autre enfant, avec ses hauts et ses bas, ses rires et ses pleurs, jusqu'au jour oú il decouvrit ses dons; ainsi Vader découvrit qu'il pouvait communiquer avec les animaux, regarder derriere sa tete et qu'il etait indestructible.

A l'age de 21 ans, Vader inventa un jeu: le Bouchaouen; ce jeu consiste á tenir deux bougies, mains levées, et de sauter sur un seul pied, le gagnant est celui qui aura sauté le plus.

Ainsi, en passant devant le zoo, entre minuit et minuit-cinq (l'heure á laquelle les chiens traversent la route) avec ses deux bougies dans une main et son scaphandre dans l'autre main, sa surprise fut á la vue d'un chien en scaphandre: Pas besoin de réfléchir, Vader était arrivé á Chaouen... mais!?!?! Comment cela se fait-il qu'il y'ait un zoo á Chaouen? Et comment se fait-il que les chiens ici aussi ne traversent qu'entre minuit et minuit-cinq? Devait-il continuer jusqu'en Espagne? En courageux aventurier qu'il est, il décida de poursuivre le chemin.

Vader, habillé de son scaphandre, plongea sous la Méditerranée á 2h du matin, sous les regards bienveillants de maitre Zaza et de XS. Une fois sous le détroit, il lécha son doigt et le leva verticalement, sentant les "vents marins" et se repérant ainsi sous cette mer sans repere. A ce moment lá, un grand malheur, conjugué á la plus grande catastrophe allaient se produire: le tuyau du scaphandre s'est coupé et les bougies se sont éteintes. Vader, indestructible comme il est, n'a aucun probleme á retenir son souffle (ma bqat εendou nefs) le temps d'une petite traversée et d'un achat de tuyau made in spain. Malheureusement il a acheté son tuyau chez un marocain, et le plus pire c'est que c'etait un made in China... Mais ce n'etait point un probleme, car ce meme marchand malhonnete n'etait personne d'autre que le chauffeur du taxi zreq que Vader avait ferchekh la veille quand il conduisait en regardant derriere, mais ce n'etait pas un probleme non-plus, car si Vader est indestructible, sa Siena l'est autant, ainsi la 240 (meme si c'etait un taxi zreq, mais il faut que ca soit une 240) était completement ferchkhée! Ce n'est point tres impossible. Et Vader repartit á Chaouen, ses deux bougies allumées et son scaphandre sur le dos du chien qu'il avait adopté apres cette aventure.

Arrivé á Chaouen, il offrit á sa bien aimée un porte-clef, souvenir d'Espagne, seul objet acheté l'εid le dernier qui lui restait, l'eventail qui était destine á cette derniere ayant disparu en chemin.

Apres toutes ces aventures passionnantes de notre héros, ce dernier dút revenir á Rabat pour travailler et pour pouvoir s'acheter ainsi un une appartement de tres haut standing le plus vite possible, et au dessus du Barrio Latino si c'est possible aussi, et si c'est tres impossible ce n'est pas grave, il a un ami dont le telephone reflete bien le salaire et qui lui acheterait bien un une appartement... mais?!?! Pourquoi faire? Vader n'est-il pas indestructible? Il vivra chez lui et passera tous les soirs entre minuit et minuit-cinq devant le zoo, et ecrasera 2 ou 3 petits chiens (et plus si affinités) en chemin...

Monday, February 4, 2008

La déportation des andalous: Un génocide oublié

En 1492, avec la chute du dernier Royaume musulman de Abou Abdillah, les Rois-catholiques optent pour l'évangélisation des musulmans. En 1525, Charles Quint prescrit à tous les Morisques de se convertir. En 1605, la décision définitive de déporter tous les Morisques est prise par le Conseil d'État. Ce fut la fin de l’Islam espagnol.


L'histoire commence avec la mort de Wittiza, roi wisigoth de la péninsule ibérique qui s'était allié aux juifs pour combattre le catholicisme encore balbutiant dans ces contrées.
En 709, Wittiza est tué par un autre Wisigoth, Rodrigue, qui est proclamé Roi. Rodrigue est, pour sa part, un chrétien catholique de fraîche date qui s'attaque d'emblée aux juifs et aux arianistes (des chrétiens qui rejettent la Trinité). Excédés par les exactions, les juifs durent rechercher des alliances pour mettre fin au règne de Rodrigue.
Aidés par les fils de Wittiza qui s’étaient repliés à Tanger après la mort de leur père, les juifs parviennent à convaincre Tarik de traverser le Détroit pour leur apporter un soutien. L'objectif immédiat est de se débarrasser de Rodrigue.
Tarik débarque en 711 à Gibraltar à la tête de 5.000 hommes, berbères et arabes selon certains, moins de mille, musulmans ou arianistes, pour d'autres. La conquête fut facile, les arianistes proches de Wittiza et les juifs avaient balisé le terrain de la conquête, permettant une avancée foudroyante des troupes venues de la rive sud de la Méditerranée. Rodrigue est tué et un pouvoir musulman prend place.

La péninsule ibérique avait, en cette période, trois principales composantes religieuses: les juifs, les catholiques et les arianistes. S'y s'est ajouté l'Islam, porté par des Arabes mais aussi, et surtout, par des Berbères, anciens juifs ou arianistes. Des musulmans peu nombreux, en sommes, sont donc à la base de l'islamisation de cette partie de l'Europe.
À cette islamisation adhèrent les premiers Européens, des arianistes wisigoths, qui seront suivis par des catholiques, le brassage aidant. Ce sont les descendants de ce brassage, sujets d'un Roi, qui seront expulsés de la péninsule en 1609. Ce fut un génocide.

Les croisades

Le monde catholique a imposé la croisade. En fait, il y eut deux sortes de croisades: L'une, qui eut plusieurs vagues, dont l'objectif était Jérusalem, c'est celle d'Orient qui débuta vers le XI ème siècle et cessa au XIII° siècle. L'autre, moins connue, imperceptible, mais efficace, c'est celle de l’Occident. Elle débuta au XI ème siècle avec pour objectif la “reconquista”. Elle s'est complue dans l'inquisition née au XIII° siècle, ce tribunal ecclésiastique qui perdura dans la péninsule jusqu'en 1808.
Cette croisade devait “dé-judaïser” et “dés-islamiser” la péninsule ibérique.
Pour la “dé-judaïsation”, ce sera fait en 1492 par Isabelle la Catholique, par un édit qui accorda quatre mois aux juifs pour se convertir ou quitter la péninsule sous peine de mort. Des dizaines de milliers d'entre eux quittèrent la péninsule dont 30.000, au moins, s'installèrent au Maghreb, dont 70 à 80% au Maroc. Leurs noms témoignent de leur origine, ils s'appellent Koria, Ovadia, Toledano, Moreno, Berdugo...
Pour la “désislamisation", dès 1492, avec la chute du dernier royaume musulman de Abou Abdillah, les Rois-catholiques optent pour l'évangélisation des musulmans.
À partir de ce moment, sur la péninsule, il y eut deux catégories de catholiques: Les vieux-chrétiens qui se prévalaient d'un sang pur, et les nouveaux-chrétiens, juifs ou musulmans convertis. Ils seront appelés marranes pour les premiers et morisques pour les seconds ; termes péjoratifs, suspects qu'étaient les marranes et les morisques de continuer à pratiquer leur religion d'origine mais en cachette. S'il y eut des conversions loyales et nombreuses au catholicisme, les faits retiennent qu'effectivement, nombre de morisques continuaient à pratiquer l'Islam, tout en participant, plus ou moins sincèrement, au culte catholique: Ils jeûnaient pendant le Ramadan et pratiquaient le sacrifice de l'Aïd Al Adha, mais se rendaient aussi à l'église.
Pouvait-il en être autrement? On ne change pas de religion du jour au lendemain aussi facilement.

Les Morisques

Passibles des tribunaux de l'Inquisition, soumis à une inégalité fiscale, brimés et dépouillés, les morisques se révoltèrent et se soulevèrent contre l'injustice. Une première révolte à Grenade en 1499, durement réprimée, impose déjà aux mudéjars grenadins -musulmans vivant sous un pouvoir chrétien- de se convertir ou de s'expatrier à Valence.
En 1525, par décret, Charles Quint prescrit à tous les musulmans de se convertir. Ils avaient donc obligation de faire baptiser leurs enfants, d'observer la foi et de convertir leurs mosquées en églises. Les révoltes sont réduites par la violence.
Sous le règne de Philippe II, une série de révisions foncières qui les lèsent, en plus de l'interdiction de l'utilisation de l'arabe, la destruction des textes arabes et le changement vestimentaires requis, débouchent, en 1568, sur la guerre d'Alpujaras, montagnes où se réfugièrent des morisques révoltés. Cette insurrection réprimée durement dans le sang prit fin en 1571. Les morisques seront une nouvelle fois déplacés. Le soulèvement de 1568 consomme en quelque sorte le divorce entre les monarques catholiques et les morisques.
A partir de ce moment, réellement chrétiens ou non, accusés d'hérésie et de concussions avec l'empire ottoman ou, plus tard, de collaboration avec la France d'Henri IV, le sort des morisques est scellé : Ils seront déportés.
En attendant, il fallait préparer le terrain.

L’Inquisition

Dès 1582, Francisco de Sandoval Y Rosa, marquis de Denia, futur Duc de Lerma, se charge de cette préparation.
Les morisques du royaume de Valence, préoccupés par leurs problèmes traditionnels que sont l'Inquisition, le prédicateur et les seigneurs censiers, ne pouvaient deviner que leur sort était désormais un jouet entre les mains du Duc de Lerma.
La mort de Philippe II en 1595, qui fut d'une extrême prudence dans ses décisions, permet à ce duc de mettre en place tous ses pions, à commencer par le nouveau monarque.
En 1605, la décision définitive de déporter tous les morisques est prise par le Conseil d'État. Les derniers préparatifs se font en secret car il fallait réunir d'importantes forces terrestres et navales, le but de l'opération ne devant être divulgué qu'au dernier moment par le chef du dispositif militaire. La date est fixée à l'automne 1609.
L'on commence par le recensement discret des foyers morisques pour identifier les morisques avec exactitude pour ne pas les confondre avec les foyers de vieux-chrétiens.
Les troupes commencent à rejoindre leurs cantonnements près des lieux où résident les morisques.
Le Vatican est contre la déportation mais le pouvoir religieux dans la péninsule est puissant. Ce pouvoir opte pour la déportation, persuadé qu'il était par le duc de Lerma.
Les garnisons sont mises en état d'alerte au début de 1609. Une flotte de soixante-deux galères et quatorze galions avec 7.000 marins est consignée. Des vétérans de l'armée de Flandre sont mis directement à la disposition du Vice-Roi de Valence.
Le 4 août 1609, Philippe III signe les ordres de déportation, confiés au chef de la milice Augustin Mexia, et destinés au chef des opérations militaires, Miranda.
Le 20 août, Mexia constate que le doute s'installe chez les morisques de Valence qui soupçonnent une anormale mobilisation de troupes venues des quatre coins de la péninsule. Il faut faire vite.
Le 17 septembre 1609, les galères du marquis de Santa Cruz se portent à Denia.
Le 22 septembre 1609, l'édit d'expulsion est promulgué et crié dans les rues de Valence et sa région. C'est l'explosion de joie chez les vieux-chrétiens. Le malheur s'abat sur les morisques.

La déportation

Cet édit précise : "Dans les 3 jours de la publication de cet édit, tous les morisques de ce Royaume (Valence), hommes, femmes et enfants, devront quitter leurs maisons et leurs villages et aller s'embarquer à l'endroit qui leur sera indiqué par ordre du commissaire chargé de cette affaire. Chacun pourra emporter la part de ses biens et meubles qu'il pourra porter sur sa personne, et devra s'embarquer sur les galères et les navires qui sont préparés pour les transporter en Berbérie où ils seront débarqués"
Pour calmer les esprits, l'édit garantit qu'il ne sera fait aucun mal et proposait même un débarquement en France ou en Italie.
Les femmes morisques mariées aux vieux-chrétiens pouvaient rester, mais pas les hommes morisques ayant une épouse vieux-chrétiens, ils devaient partir seuls sans les enfants. Les enfants de moins de quatre ans pouvaient rester si leurs parents morisques acceptent. L'immense machine militaire se met en marche, les galères de la marine militaire ne suffisant pas, il est fait appel aux transporteurs privés et, comble de malheurs, ce sont les morisques qui durent payer la traversée.
Les transporteurs privés se multiplient et les allers-retours devinrent rapides et plus fréquents, car il était plus rentable de débarquer les morisques en mer. Certains, débarqués sur des parties de la rive africaine de la Méditerranée, furent la proie des autochtones: tués, volés, réduits à la mendicité, ils étaient soupçonnés de vouloir occuper le pays et le doute subsistait quant à leur réelle religion.
Les conditions de déportations devenaient de plus en plus difficiles, plus dures, totalement inhumaines, d'où des révoltes et des tentatives de résistance, vite réprimées par l'armada militaire réunie.
Un autre édit d'expulsion sera promulgué le 9 décembre 1609: Il décide de la déportation des morisques de Murcia, Grenade, Jaen, Cordoue et Séville, ainsi que d'une seule bourgade de l'Extremadura et du Leon : la bourgade d'Hornachos, exclusivement peuplée d'une importante communauté morisque constituée en une sorte de République.C'est cette communauté qui peuplera Rabat et maintiendra intact son style de vie. D'autres édits, jusqu'en 1613, furent pris apres la decouverte de quelques lots de morisques oubliés dans l'arrière pays.
La description de la déportation des morisques de Valence donne une idée approximative de l'ensemble de l'opération. Il est dit que le transfert des populations morisques de l'intérieur se faisait évidemment à pied, dans des conditions tellement effroyables et que la majorité des déportés mourut.

Fray Jaime Bleda, inquisiteur conseiller du duc de Lerma dans la préparation et l'exécution de l'expulsion, était parfaitement informé, vu qu'il y prit une part essentielle: Il fut le témoin oculaire des déportations du Royaume de Valence. Voici ses conclusions :
“Ainsi, il est certain que des milliers de morisques qui quittèrent ce Royaume de Valence, même pas le quart survécut. Nombreux périrent en mer noyés, jetés par-dessus bord par les patrons des bateaux qui les volaient. D'autres naufragèrent sans pouvoir atteindre les plages de la Berbérie. Les Arabes en tuèrent un nombre infini. La plupart moururent de faim, de soif, de froid et d'affliction après leur arrivée en Afrique, où ils se voyaient exilés d'un paradis terrestre dans les sables, la sécheresse et la chaleur ardente de ces contrées, et aux mains de cette gente si féroce, inhumaine et barbare. C'eût été encore mieux pour l'Espagne, si tous avaient péri.''

Berbérie

Il s'agit de la première déportation humaine d'un système politique et d'un pouvoir organisés en Etat, la seule aussi où l'on constate qu'une autorité étatique déporte en dehors de son cercle de souveraineté et d'influence des personnes qui relèvent directement de cette autorité. L'estimation des déportés varie entre 500.000 et 1.000.000 de personnes, voire plus. Plusieurs trouvèrent refuge en France, en Italie, au Maghreb et en Turquie, principalement, mais nombreux furent ceux qui n'arrivèrent nulle part, voués dès le départ à une mort certaine : L'Etat organisateur de cette déportation n'avait-il pas estimé les pertes acceptables à 75%?
Les morisques furent déportés mais aussi dépossédés de leurs biens qui revinrent à la Couronne et à ceux qui ont organisé la déportation, tel que le Duc de Lerma, dont la fortune personnelle dépassa les moyens financiers du Trésor Public. Ces biens revinrent aussi à l'inquisition, pour une large part.
La corruption et l'inefficacité dominaient trop l'administration locale sous Philippe III pour que cette déportation soit réalisable en totalité. De nombreux morisques, heureusement pour eux, passèrent à travers le filet qui leur fut tendu, d'autres revinrent plus tard d'Afrique ou de France, d'autres surent encore acheter leur immunité.
Les morisques de Hornachos, méthodiques et gérant leurs malheurs, sont arrivés, par bateaux affrétés par eux, dans un premier temps à Salé. Considérés comme de curieux musulmans avec des mœurs particulières, ils durent opter pour une installation dans la ville jumelle de Salé, Rabat, dite Salé le neuf.
Ils ont perpétué leur mode de vie, de gestion et d'organisation, basé sur la solidarité et l'espoir du retour avec le rejet de tout ce qui n'est pas de leur essence. Repliés sur eux-mêmes, il vécurent jusqu'à l'indépendance en 1956 avec ce modèle social dont l'érosion avait débuté avec l'institution de Rabat comme capitale du Royaume par le Maréchal Lyautey en 1912.


Survivances

Ils portent, pour une grande partie, un nom andalou à consonance ibérique: Moréno, Palimano, Trédano, Mouline, Ronda, Roudies (Rodriguez), Barco, Bargach (Vargas), Caracso (Carasco), Cérone, Dinia, Koria, Farchado, Piro, Fennich, Palafrej, Palamino…
Ils sont toujours fiers de leurs noms.
D'autres morisques, les Torres, Médina, Almandre... ont élu domicile à Tétouan, autre ville morisque du Maroc où, là aussi, ils perpétuent toujours le souvenir de leurs ancêtres par la culture, l'érudition et la musique dite andalouse.
A Fès, les nouveaux arrivants en ce début du 17°siècle se sont joints aux premiers migrants andalous qui quittèrent l'Andalousie dès les premières victoires de la “reconquista " au XIII° siècle, n'acceptant pas de vivre comme mudéjars dans leur ancienne patrie.
Ces descendants de morisques perpétuent, pour l'Histoire, le souvenir de ceux pour lesquels le Cardinal Richelieu affirmait, dans ses mémoires, que « les commissaires de la déportation faisaient payer aux morisques lors de leurs déplacements forcés, l'eau des ruisseaux et l'ombre des arbres», et dont Ulysse Robert disait, dans son ouvrage Les signes d'infamie au moyen-âge édité à Paris en 1891, que « les morisques reçurent, lors du règne de Jeanne la Folle, l'ordre de porter des croissants de lune en tissu bleu sur leurs chapeaux, croissant de lune de la taille d'une demi-orange.»
L'histoire de l'Islam dans cette partie de l'Europe commence avec Wittiza, dont on ne connait pas le destin des nombreux fils, qui ont tout fait pour que Tarik prenne pied sur la péninsule. Leurs descendants furent-ils vieux-chrétiens ou nouveaux-chrétiens? Où sont-ils? A Rabat ou Tetouan? A Alméria ou Barcelone, ayant échappé à une funeste fatalité ? Dans la région de Mâcon en France grâce à Henri IV l'humaniste? Ou bien le transporteur privé les a-t-il jetés en mer?… Chacun dans ses certitudes, pourra-t-il donner sa réponse?
Déjà, dès la disparition de Paul V, pontife qui régnait lors de la déportation, l'édit de 1609 commença à peser comme une grande dalle sur la conscience de la population de la péninsule, et l'on a considéré comme injuste et inutile la déportation de plusieurs centaines de milliers d'habitants. Cette déportation scella le déclin de l’Espagne, alors forte, riche et conquérante: Les artisans de cette puissance avaient disparu.

Youssef Elidrissi, Maroc Hebdo no. 521
Revu et corrigé par: Omar Tounsi
http://www.maroc-hebdo.press.ma/MHinternet/Archives_521/pdf_521/page30et31.pdf