Thursday, December 11, 2008

Entretien avec Abdessamad Tamouro Enseignant de Philosophie et de l’Histoire de la pensée et des civilisations

Entretien avec Abdessamad Tamouro Enseignant de philosophie et de l’Histoire de la pensée et des civilisations.
« Une vision globale pour le dossier des mauresques »


Abdessamad Tamouro, enseignant de philosophie et d’histoire de la pensée des civilisations à la Faculté des lettres de Rabat, membre de l’association marocaine de philosophie (AMP) et est également l’un des descendants des familles mauresques déportées de Séville il y a des siècles. C’est l’un des plus actifs membres du « Front de Défense de l’Unité territoriale nationale ». A. Tamouro présente son réquisitoire contre l’Espagne.


Comment comptez-vous défendre le lourd dossier que vous préparez contre l’Espagne ?

Il faut qu’un tel dossier soit traité sous une vision globale. Pour traiter des faits aussi graves et importants : les frontières, les relations entre peuples et entre civilisations, il faut s’éloigner de toute vision personnelle ou de revanche, de vengeance ou de vision politique. Car, la politique ne gère que le conjoncturel, les compromis... Elle ne peut pas gérer l’Histoire et les civilisations. A défaut de négociations, à défaut de compréhension et à défaut d’entente, on ne peut échapper à la tension de conflit. C’est pourquoi il faut associer dans cette réflexion « les sages ».

Et qui sont donc ces sages ?

Les sages sont des intellectuels et des chercheurs, mais pas n’importe lesquels. Il faut des chercheurs autorisés, compétents et qui travaillent dans des institutions indépendantes. A l’instar des institutions stratégiques, les institutions de travail, les institutions de recherche ou de coopération.

Pourquoi avez-vous attendu tout ce temps avant de ressortir ces griefs contre l’Espagne ?

On n’a attendu seulement quatre ou cinq siècles. Ce n’est pas beaucoup dans le processus de l’Histoire. C’est pour cela que nous demandons que le dossier soit traité dans le cadre d’une vision globale. Les affaires entre peuples ne peuvent pas obéir aux calculs temporels.

Qu’est ce qui a fait que ce dossier des mauresques marocains ressurgisse tout d’un coup ?

Le déclic est venu du fait que l’Europe demande l’ouverture. Tout le monde demande le dialogue des civilisations, des religions... L’humanité a été éprouvée par les conflits et par les guerres mondiales. On sait ce que cela a donné.

Nous vivons actuellement au Maroc le problème du Sahara. Ce n’est pas un problème de frontières, mais d’hommes qui ne veulent pas de frontières ou qui veulent des frontières à leur mesure.

Ainsi donc, ou bien on doit aller dans une vision globale qui cherche l’entente et qui cherche la compréhension et cela doit être fait en connaissance de cause, en connaissance de l’autre, loin des rapports de forces... Ou bien on va directement aux conflits.

Le malheur, c’est qu’on ne peut pas enlever l’Espagne de l’Histoire ou de la carte géographique. L’Espagne, non plus, ne peut pas le faire en ce qui concerne le Maroc.

Donc, on est obligé d’envisager cette possibilité de revoir tous les dossiers en rapport avec les relations de voisinage dans le cadre d’une vision de civilisation.

Par ailleurs, l’Europe parle de problèmes des frontières, de l’immigration, de l’interpénétration entre les pouvoirs, le pouvoir de l’Europe comme institution globale et le pouvoir des Etats... Nous aussi nous avons les mêmes préoccupations, mais autrement, avec l’Union du Maghreb... Donc, si on n’a pas cette vision avec nos voisins, on ne pourra pas avoir des relations d’entente avec l’Espagne et l’Europe, ni avec l’Algérie, la Tunisie...

La vision globale sur laquelle nous insistons va au-delà de la question du Sahara... C’est une question civilisationnelle qui est dans l’intérêt de toute la région.

Il faut souligner aussi qu’il y a dernièrement des conflits énormes, sanguinaires qui ont fait des milliers de morts et qui, maintenant, ne sont pas oubliés, mais ont donné lieu à une grande entente en Europe. Bien évidemment nous savons qu’en Europe tout le chauvinisme et l’esprit sanguinaire qui a présidé à l’expulsion des musulmans de l’Espagne est, aujourd’hui en grande partie, révolu. L’esprit de l’inquisition n’est plus. Il n’y a plus non plus d’esprit prônant les tueries que les musulmans ont connues en Espagne.

En fait, à l’heure où nous parlons beaucoup de l’ère de liberté, nous avons besoin d’avoir la liberté de voir en face l’avenir.

Dans votre action, est-ce que vous avez reçu du soutien de la part de ressortissants espagnols ?

Nous cherchons à mener des recherches communément avec les Espagnols pour les grands et les petits dossiers. Parmi les grands dossiers je propose, personnellement, la création d’un institut stratégique de recherche entre les deux pays sur les archives par exemple. Non seulement entre les deux pays, car il faut aussi associer le Portugal.

Nous ne parlons pas seulement avec l’Espagne, mais avec toute l’Europe et particulièrement avec l’Espagne et le Portugal.

Cette institution doit avoir le courage d’étudier sereinement des dossiers comme celui, par exemple, des frontières, de l’immigration, du droit de retour, de la nationalité, des efforts de compensation et de conciliation...

En ce qui me concerne, je peux formuler une demande personnelle au nom de ma famille pour demander les biens que nous avons perdus en Espagne et surtout à Séville.

Après tant d’années, serait-il facile d’évaluer les biens perdus à l’époque de l’Andalousie arabe ?

On n’en est pas encore là. Ce qu’il faut pour le moment, c’est d’ouvrir les archives, laisser les équipes de recherche travailler. Et ce, loin de tout esprit de revanche.

On doit avoir le courage de dialoguer et d’échanger les archives, d’écrire l’Histoire des familles musulmanes mais aussi des prisonniers espagnols au Maroc. Il faut aussi voir la colonisation et les problèmes qu’elle a engendrés : l’exode, la guerre du Rif...

A combien estimez-vous le nombre de mauresques qui ont été chassés vers le Maroc ?

On peut facilement parler d’un million et demi. Vous savez, d’après les répertoires, il y a eu des centaines de milliers à l’époque qui ont été obligés de quitter le territoire espagnol. C’était toute une civilisation et ça a duré plus de trois siècles. Pour moi et pour ma famille, je demanderais au moins une forme d’excuse et de compensation. C’est exactement ce qui a été demandé en faveur des juifs qui ont été déportés en Europe. C’est la même chose pour nous, car c’est un peuple qui a été expulsé, qui a subi l’inquisition, l’humiliation et qui a été interdit de parler, d’avoir une religion et une croyance, interdit de s’habiller comme il veut... Et ne parlons pas de ce que les Marocains on subi durant la colonisation espagnole !

lereporter.ma

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